49 ème Missive - A quoi cette passion m'aura-t-elle servi ?

A quoi la passion de la photographie m'aura-elle servi ?

La photo m'a pris un peu tardivement et même si mon premier déclenchement a été antérieur, c'est tout de même en juin 1979 que j'ai su que j'étais photographe et que je le suis resté. J'ai décliné l'idée tous azimuts : Labo photo , diaporamas sonorisés avec projection sur écran toile, tirages noir et blanc, impressions couleur, argentique, puis numérique, créations hybrides (invention du photophone), expositions multiples.

Aujourd'hui la post-production sur ordinateur a évidemment pris le pas et mes diaporamas sont moins artisanaux qui dépendent d'un logiciel. Je retouche et conserve facilement mes photos. Je ne suis pas nostalgique des techniques passées. Dans le domaine de la photo c'est mieux aujourd'hui.

Compte tenu de ce qui précède, de ces dizaines d'années de photographie je peux légitimement répondre à la question : A quoi est-ce que la passion de la photographie m'aura servi et de quoi s'agit-il ?

Définition : Un photographe est un écrivain. Je veux dire par là qu'il a l'âme littéraire, le goût de la sémantique et un penchant pour la calligraphie. La photo a sa propre grammaire, ses lois, sa syntaxe. Les lettres qu'elle utilise pour dire quelque chose, ne viennent pas de l'alphabet latin ni d'un autre, ce sont les figures qu'il cadre dans son viseur, il en fait des consonnes et des voyelles, il marque des pleins et des déliés. Brassens disait qu'il fallait que son public ait aussi un petit peu de talent. La photo réclame que le regardeur en ait aussi, qu'il sache lire et prenne le temps de lire ce qu'il voit.

Que reste-t-il de cet amour ?

Une passion c'est un amour sans limite. Oh je sais bien "amour" est un mot galvaudé et je suis parfois agacé de le voir dévalué par son taux de fréquence, une sorte d'inflation qui lui fait perdre de sa force et de son sens.

D'autres mots et expressions subissent le même sort : "C'est magique!", "un paysage à couper le souffle", "Partage" sésame qui vire au mot de passe dans notre société par ailleurs si peu conséquente …et j'allais oublier "perdurer" ce verbe un peu chic remplace peu à peu et sans profit le verbe "durer" qui aurait suffi neuf fois sur dix. Perdurer comportait une nuance de perpétuation, de résistance étonnante à l'érosion, une idée de long terme qui le différenciait de durer. C'est une fusion-confusion avec plan social sémantique.

Cette trop longue réserve faite, il faut admettre que la constance dans une pratique ou un compagnonnage autorise à user du mot amour, car on est pris tout entier par sa passion, on y revient, et en l'occurrence on pense photo, on passe les vacances avec son appareil en main, qui encombre et qui pèse… on vérifie le réel à travers le viseur. Je ne conçois pas de photographier sans mettre l'œil au viseur, et si parfois j'utilise mon téléphone c'est de n'avoir pas d'appareil photo avec moi et dès lors je suis un téléphoneur qui prend des notes, je ne suis pas un photographe. L'œil dans le viseur est une définition du photographe adoubé.

Il est temps de répondre à la question formulée plus haut : A quoi la passion de la photographie m'aura-elle servi ?

La photographie a contribué à structurer toutes ces années de vie, elle a été un repère et un repaire, une balise et un refuge contre la fugacité du temps et la brièveté apparente des années vécues. La pratique d'une photographie d'art, j'entends par là, une photographie qui est née d'une quête, qui a été sous-tendue par un désir verbalisé ou non, vous sort de ce que vous êtes ordinairement. La photo c'est une autre façon de marcher, c'est se promener avec un éveil particulier. Il s'agit d'une promenade sans méditation aucune et au contraire c'est de suivre une ligne tendue sans cesse réinventée. C'est une promenade habitée par la volonté d'approfondir ce qui est, de le mieux comprendre, de le retenir un peu pour l'observer. C'est une pêche pour voir le poisson de près avant de le remettre à l'eau… ça n'est pas une chasse, c'est une pêche à la ligne, la recherche d'un état de sérénité.

Si ma pratique de la photographie a pu structurer tout ce temps, c'est aussi parce qu' elle a su évoluer sans jamais devenir autre chose. Les gens de ma génération ont vu et voient encore le monde basculer. Il reste peu de traces concrètes et vivantes de la France des années 50 et 60, les Romainville et Montreuil d'aujourd'hui ne sont pas les enfants de ce que furent ces villes que j'ai connues et c'est un constat qui peut s'élargir à toutes les villes et toutes les campagnes. La notion de maison natale pourtant si forte pendant des siècles n'a plus de réalité aujourd'hui. Alors la photo apporte la preuve que tout cela fut vrai et vient donner des détails… ce qui compte c'est le collier de détails que toute chose porte à son cou.

J'ai aujourd'hui le sentiment de posséder un petit trésor d'images. J'aurais aimé hériter de photos de mes grands-pères ou grands-mères, de mes parents aussi mais aucun d'entre eux n'a jamais possédé d'appareil photo. Mon fils, mon petit-fils auront cette chance. Il ne s'agit pas de créer une fondation, ceci est réservé aux célébrités qui laissent une œuvre inscrite dans l'histoire de l'art. Ce que je laisse c'est mon regard, c'est de l'histoire, de la beauté, des visages saisis pour l'éternité, des récits, des contes, de la littérature de gare, un témoignage polymorphe.

Dans la somme de mes photos, quelques-unes sont forcément des chefs-d'œuvre ou le deviendront en fonction des circonstances, c'est une question de statistique, ça n'est pas de la vanité que de le dire.

Nous ne savons pas pourquoi nous sommes sur terre, d'aucun répondrons "pour rien" tandis que d'autres évoqueront la survivance de l'âme… je dis qu'avoir su saisir une belle image, une image qui fait plaisir et qui parle toutes les langues peut justifier d'avoir foulé la terre avant de savoir s'il y a un après, cette dernière hypothèse étant de loin la plus raisonnable.

Vivre seulement les choses n'est pas rendre suffisamment hommage à l'existence, il faut la photographier. Pratiquer la photo est une source de vrai bonheur et c'est-là ma réponse principale.

PS : Je vais publier prochainement un recueil des 49 missives que j'ai postées sur ce site. Il sera illustré de quelques photographies.

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