42 ème missive - Effeuillage

13/01/2021

L'occasion de parler photographie, ne nous est pas si souvent donnée dans ce monde pourtant saturé d'images. L'autre jour et cela fait plaisir, sur France Culture était invitée une photographe dont le curriculum vitae détaille qu'elle exerce un rayonnement international.

Elle s'appelle simplement "Flore", nom de baptême qui tendrait à nous conduire via Brassens chez François Villon et "Flora la belle romaine".

On s'arrête en chemin pour une Marguerite, et si ça n'est pas l'innocente pâquerette de Brassens, celle qui fit scandale sur l'autel, c'est une autre Marguerite celle qui fit scandale en littérature.

Flore, s'est lancée sur les traces de Marguerite Duras en même temps que sur celles d'une partie de sa propre lignée. Elle a titré le résultat " L'odeur de la nuit était celle du jasmin".

Elle explique à propos de ce titre en répondant à Tewfik Hakem le producteur de l'émission, qu'avec la photographie elle ne peut pas donner l'odeur, qu'elle peut certes éveiller les sens par l'image mais pas celui de l'odeur…Alors dit-elle, la donner en amont, permet de plonger dès le début, le spectateur dans une ambiance.

J'adhère sans réserve à cette idée selon laquelle, un titre joue un rôle de gouvernail et qu'il embarque discrètement les visiteurs dans l'ambiance nécessaire.

Flore sur les traces de Duras est partie en voyage dans le passé pour saisir avec son objectif, l'Indochine d'il y a 100 ans. Mission évidemment impossible que j'avais à mon échelle affrontée voilà une petite dizaine d'années, en Artois où j'étais parti à la recherche des lieux de vie de ma famille maternelle, et précédemment en quête de ma maison natale à Romainville.

Comment faire des images qui auraient dû être prises dans un temps antérieur ?

Flore répond à peu près ceci : " Par la manière dont on les tire…le flou, le noir et blanc. Faire croire… je tire tout moi-même sauf l'héliographique… argentique, pigmentaire…"

Elle évoque ensuite le vide dans ses photos de paysage et l'assimile à une "représentation du silence". Le silence me paraît être en effet un frère du vide… ni l'un ni l'autre n'appartiennent pourtant à la famille du néant, le silence et le vide sont le plus souvent habités.

Ce que j'ai ressenti moi-même en prospectant les temps révolus et que sans doute chaque personne qui va un appareil photo en bandoulière, éprouvera à vouloir observer le passé, est bien exprimé par Flore. Elle dit par exemple que ce qu'elle donne à voir serait des souvenirs qu'elle aurait pu avoir mais qu'en vérité c'est selon son cœur… qu'il est rare que la chose qu'on cherche soit au vrai endroit.

Nous autres photographes sommes-nous légitimes à réinventer ce qui fut mais qui n'est plus et comment réaliser ce miracle ?

Elle cite Eugène Smith, la photo c'est 10% de prise de vue et 90 % de tirage… (aujourd'hui nous parlerions plutôt de post-production).

C'est ainsi, qu'un siècle évaporé peut s'entre-laisser voir et c'est ainsi que par la prestidigitation photographique le temps peut revenir.

Photographier l'Indochine aujourd'hui pour évoquer celle d'il y a cent ans ou photographier le bassin minier aujourd'hui pour tenter de rencontrer celui d'il y a 100 ou 150 ans est une recherche de vérité par essence. Le résultat n'est pas la vérité vraie, il s'agira d'une simulation expérimentale mais ce ne sera pas un mensonge ou un bobard. L'intention est la vérité et en l'absence de possibilité de voyager dans le temps ces photos s'approchent de ce qui a été, elles tendent à la vérité.

La peinture peut être une invention totale, c'est son droit et c'est sa loi mais la photographie à mon sens doit se tenir du côté de la réalité.

Je n'ai pas pu voir pour cause de pandémie, l'exposition des photos de Flore et j'en suis déçu évidemment. Sa démarche cependant me séduit par elle-même. Ce défi et ce besoin d'aller chercher ce qui n'est plus, mais que nous portons en nous, me plait bien.

Ce qu'on restitue n'a peut-être au fond qu'un lointain rapport avec la réalité historique mais la photo le rend vrai parce qu'elle parle notre langage. Cette posture-là n'est-elle pas celle que nous avons tous face à l'existence, une constante réinvention du vrai ?

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