35 ème missive – La lumière

12/09/2019

C'est une chambre technique de grand format mais vue de côté ce pourrait être un super bandonéon, au soufflet grand étiré destiné à faire danser le tango. Je regarde depuis l'emplacement de la plaque sensible et j'aperçois au bout du tunnel le cercle lumineux de l'objectif. Ici la photographie n'est cependant pas le sujet principale, le sujet c'est le métier de photographe un petit jeune parmi les autres savoir-faire exposés. C'est en Ariège, à Montgailhard près de Foix, plus précisément aux Forges de Pyrène, un attrayant musée des métiers anciens.
Entre farandoles d'outils silencieux et géniales trouvailles, les siècles d'avant la modernité dévastatrice font sans le savoir l'éloge de la sagesse. Donner du temps au temps, prendre le temps comme on prend un verre, soigner l'objet que l'on fabrique, le connaître personnellement… si l'on devine que la fatigue devait parfois accabler les travailleurs, on se répond que le burn-out y était inconnu et que du reste notre langue n'avait pas même façonné de mot pour le dire.
Le photographe passait dans les villages tirer le portrait du menuisier, de la vannière ou du charron. Le bougre se déplaçait de village en village comme le montreur d'ours le faisait encore au 19 -ème siècle.
La forge est le clou du spectacle. Tandis que la plupart des métiers sont concentrés dans de modestes ateliers reconstitués, le forgeron en personne montre son travail dans la vraie forge. Cet homme de feu a curieusement pour principale associée l'eau de la rivière qui meut le soufflet et actionne le puissant marteau hydraulique… une roue à aube transforme le courant de la rivière en force rotative tandis qu'un jeu de cames le change en mouvement alternatif. Le fer rouge qui sort de la forge est battu sans effort… les visiteurs photographient ces prodiges. Ils s'attardent aussi dans l'atelier du maître verrier qui est également là en personne. Je songeais que lui aussi comme le photographe travaille avec un précieux matériau : la lumière.
La lumière est parfois sombre, je ne pense pas à Pierre Soulage en écrivant ceci mais à Robert Frank ce maître de la photographie qui vient de disparaître à l'âge raisonnable pour ce faire (?) de quatre-vingt-quatorze ans. La photo de cet homme qui me vient en premier lieu à l'esprit n'est pas issue de sa série sur les américains. Celle qui m'a le plus frappé avait été prise à Londres. Voici l'image : Une rue sombre qui ressemble à celles de nos corons de Calonne-Liévin ou de Lens, respire mal sous le ciel couvert, un corbillard au premier plan est garé les portes arrières restées grandes ouvertes… du même côté sur le trottoir luisant, à cinquante mètres un petit écolier capé s'éloigne en courant. Il s'enfuit c'est évident, il s'est échappé de l'horrible véhicule, il a vaincu la mort et sauvé son existence par une fuite courageuse et mutine vers le vrai bout de sa vie, beaucoup plus loin…
Je regarde cette photo, triste de prime abord, comme une illustration du bonheur d'échapper au pire. Elle raconte la joie de courir et celle de goûter la vie. Je ne possède pas de droits sur cette photo et je ne peux donc pas vous la montrer ici mais vous la retrouverez par l'Internet. Un étui de guitare vide et grand ouvert évoque ci-dessus cette même idée du refus de l'enfermement et sous-entend que la guitare a pris le large.

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